Recyclage du plastique en Europe : des usines s’éteignent face à la montée de la concurrence chinoise
La dynamique mondiale du recyclage des plastiques s’intensifie, mais l’industrie européenne encaisse un choc concurrentiel. Selon les données disponibles, la part de matière recyclée a franchi le seuil des 10% de la production planétaire de polymères en 2024. Dans le même temps, la Chine a produit 13,4 millions de tonnes de plastiques circulaires, soit plus de 30% du total mondial, quand l’Europe est restée autour de 19%, un niveau stable. Une analyse approfondie révèle que l’écart de coûts – jusqu’à 30% en moins pour le PET recyclé chinois par rapport à l’équivalent européen – et l’essor des polymères vierges chinois (148,7 millions de tonnes en 2024, +8%) exercent une pression immédiate sur les marges et les débouchés des recycleurs du Vieux Continent. Entre 2023 et 2025, les indicateurs économiques suggèrent la perte d’environ 8% de capacité de recyclage en Europe, avec des fermetures d’usines et des projets reportés.
Le cadre réglementaire se durcit, avec l’obligation d’incorporer 25% de PET recyclé dans toutes les bouteilles de boissons mises sur le marché européen depuis janvier 2025. Mais l’absence de code douanier distinct pour différencier le vierge du recyclé et des contrôles encore lacunaires entretiennent une incertitude qui profite aux importations à bas coût. Dans ce contexte, des groupes comme Veolia, Suez, Paprec, LyondellBasell, ou encore des acteurs de l’aval tels que Renault, Plastipak, Valorplast, Fost Plus, Eco-mobilier et Carbios ajustent leurs stratégies, entre sécurisation d’approvisionnements, innovations techniques et plaidoyer pour des “clauses miroirs” aux frontières. La trajectoire de l’industrie est suspendue aux clarifications réglementaires européennes à venir, tandis qu’un marché mondialisé de plus en plus volatil redistribue les cartes.
Sommaire
Concurrence chinoise sur le plastique recyclé : effets immédiats sur les sites européens
Les flux d’importations à bas prix redessinent la profitabilité des recycleurs en Europe. D’un côté, la Chine accroît sa capacité en vierge et en recyclé, de l’autre, les prix spot du vierge dépriment la valeur des matières secondaires. Le reflux de la demande pour le recyclé se traduit par des arrêts temporaires, puis des fermetures.
- Prix : rPET importé environ 30% moins cher que l’européen, fragilisant les contrats longue durée.
- Volumes : la Chine capte > 30% des plastiques recyclés mondiaux en 2024, l’Europe autour de 19% selon Plastics Europe.
- Capacités : en Europe, environ 8% de capacité de recyclage perdue entre 2023 et 2025, des fermetures ayant touché la France.
- Production globale : baisse de la production plastique européenne de 8,3% en 2023, signe avant-coureur d’une crise, selon un décryptage.
- Alerte sectorielle : les fédérations évoquent un risque de fermetures en chaîne si rien n’évolue, comme le souligne cette alerte du secteur.
Fait marquant : des groupes européens de la gestion des déchets et des matières, à l’image de Veolia, Suez et Paprec, signalent des arbitrages de production plus fréquents, tandis que des acheteurs industriels rebasculent ponctuellement vers le vierge.
Obligation des 25% de rPET et failles de traçabilité aux frontières
Le marché des bouteilles cristallise les tensions. L’obligation d’incorporation 25% rPET est un catalyseur puissant pour la demande, mais elle profite aussi aux importations lorsque les contrôles ne permettent pas de distinguer clairement l’origine de la matière.
- Règles : l’objectif de contenu recyclé soutient la demande en rPET, détaillé par le Parlement européen dans ses faits et chiffres.
- Trace : absence de code douanier distinct vierge/recyclé et contrôles insuffisants sur la nature de la matière à l’import.
- Risque : distorsions de concurrence favorisées par des écarts de coûts et des tests de conformité hétérogènes.
- Diplomatie : les négociations internationales patinent, comme l’illustre le sommet de Genève sans accord et les doutes sur l’adoption d’un traité mondial.
Dans ce contexte, des initiatives privées tentent de fiabiliser les chaînes d’approvisionnement. Plastipak renforce par exemple ses audits fournisseurs, tandis que Valorplast et Fost Plus multiplient les outils de traçabilité pour sécuriser les flux d’emballages.
Recyclage mécanique et chimique : projets suspendus, arbitrages industriels
Après un cycle d’investissements, plusieurs projets européens entrent en pause. Les démarrages d’unités de recyclage chimique s’étaient multipliés – une vingtaine d’usines actives, dont 15 en Europe – mais la visibilité réglementaire et la compétitivité-coût conditionnent désormais leur calendrier.
- État des lieux : panorama 2025 du recyclage chimique à retrouver dans cette analyse.
- France : deux projets de recyclage chimique retardés ou suspendus, comme le rapporte L’Info Durable; Eastman en Normandie reste en attente de clarifications européennes.
- Énergie : Exxon a mis en pause des projets à Rotterdam et Anvers, confirmé par cette dépêche.
- Compétition : l’Europe, plus avancée sur la part de plastiques circulaires locaux (14,8% de la production), voit son avance rognée, comme le note l’industrie.
- Signal-prix : des fermetures d’usines se multiplient, avertit la profession, relayée par des analyses sectorielles.
Sur le terrain, des acteurs comme LyondellBasell articulent mécanique et chimique pour sécuriser des débouchés premium, tandis que Carbios accélère sur l’enzymatique pour le PET, avec des partenariats amont-aval visant des volumes stables.
Étude de cas : “Repolymer Nord”, une PME européenne face au choc d’importation
Pour mesurer l’impact, imaginons “Repolymer Nord”, recycleur de PET en Allemagne, fournisseur de préformes pour des embouteilleurs régionaux. En un trimestre, l’entreprise voit ses clients tester du rPET importé, 20 à 30% moins cher.
- Problème : sous-utilisation des lignes (taux de marche à 55%), compression de la marge et pression sur la trésorerie.
- Réponse : renégociation d’énergie, certification renforcée, et contrats pluriannuels avec clauses d’indexation.
- Diversification : montée en gamme (grade alimentaire), élargissement au PP/PEHD, et co-développement avec un grand compte.
- Partenaires : coordination avec Veolia et Paprec pour sécuriser l’approvisionnement, et exploration d’alliances techniques avec LyondellBasell.
Question clé : sans harmonisation douanière et contrôles renforcés, une stratégie d’investissement à cinq ans reste-t-elle finançable par les banques, même pour des industriels réputés solides ?
Chaînes de valeur : emballage, automobile et ameublement sous tension
Les secteurs utilisateurs arbitrent entre objectifs climat et contraintes coûts. Les embouteilleurs s’alignent sur le contenu recyclé des bouteilles, l’automobile élargit les pièces en plastiques secondaires, l’ameublement structure ses filières avec l’éco-organisme.
- Emballage : acteurs comme Plastipak, Valorplast et Fost Plus multiplient les schémas de reprise et de traçabilité; synthèse utile dans cet état des lieux.
- Automobile : Renault intègre davantage de PP/PA recyclés dans les intérieurs, avec des boucles fermées pilotées avec des partenaires; voir aussi des retours d’expérience sur les innovations industrielles.
- Ameublement : Eco-mobilier développe des cahiers des charges pour élargir l’usage de PP/PE recyclés dans les composants, tout en stimulant l’offre locale.
- Stratégie : pour atténuer le choc concurrentiel, les entreprises s’inspirent de stratégies de résilience matières et de bonnes pratiques de gestion des déchets.
- Macro : l’Europe hésite entre protection de son industrie et ouverture commerciale, débat éclairé par les enjeux de concurrence et par les arbitrages politiques.
Une articulation fine entre achats responsables, contrats long terme et innovation matière apparaît déterminante pour stabiliser les débouchés du recyclé en Europe.
Pistes d’action publiques et privées pour rétablir l’équilibre
Plusieurs leviers complémentaires émergent pour limiter les distorsions et garantir l’atteinte des objectifs de circularité. Ils portent sur le commerce, la traçabilité, les incitations économiques et la demande aval.
- Commerce : “clauses miroirs” alignant les exigences de contenu recyclé et de traçabilité sur les importations; suivi des négociations internationales via le futur traité plastique.
- Douanes : création d’un code spécifique pour distinguer vierge/recyclé; contrôles renforcés, audits et certificats harmonisés à l’échelle de l’UE.
- Demande : marchés publics “circulaires”, critères acheteurs sectoriels (emballage, auto, ameublement) et contrats indexés pour amortir la volatilité.
- Innovation : soutien aux technologies (mécanique, chimique, enzymatique) via des dispositifs inspirés de l’état de l’art et d’initiatives d’Carbios ou de LyondellBasell.
- Coordination : plateformes intersectorielles, à l’instar d’expériences recensées par les retours de terrain et des bilans sur les flux européens.
Reste une question de tempo : combien de temps l’écosystème peut-il tenir avant que les défaillances d’aujourd’hui ne compromettent les objectifs de demain, comme le souligne aussi cette enquête et ces analyses ?