Pascal Demurger : « L’impact du malaise démocratique sur le monde de l’entreprise
Dans un climat politique marqué par la défiance, l’entreprise devient un miroir fidèle des tensions démocratiques. Selon les données disponibles, la crise de confiance à l’égard des institutions rejaillit sur l’engagement des salariés, la qualité du dialogue social et la capacité d’innovation. Pascal Demurger, directeur général de la MAIF et co-président du Mouvement Impact France, soutient que ce « malaise démocratique » n’est ni conjoncturel ni périphérique : il affecte la manière de décider, d’écouter et de rendre des comptes au sein des organisations. Une analyse approfondie révèle que les pratiques managériales fondées sur la verticalité et le contrôle alimentent le sentiment d’exclusion. À l’inverse, la transparence et l’autonomie favorisent la coopération et la performance durable. Dans la continuité d’un travail de conviction engagé depuis plusieurs années, les prises de position publiques, les expérimentations internes et les écrits du dirigeant s’inscrivent dans une perspective plus large : clarifier le rôle politique de l’entreprise et outiller les directions pour répondre à des attentes sociales et environnementales croissantes.
Sommaire
Malaise démocratique et gouvernance d’entreprise : liaisons dangereuses et leviers de sortie
Les indicateurs économiques suggèrent une corrélation entre la défiance civique et le climat social au travail. La littérature en sociologie du travail, de Thomas Coutrot à d’autres, met en évidence une relation robuste entre manque d’autonomie professionnelle et comportements électoraux extrêmes ou abstention. Dans ce contexte, des analyses récentes offrent des repères utiles : un décryptage approfondi publié par Novethic détaille la façon dont le mal-être démocratique se répercute dans l’entreprise, tandis qu’une tribune de référence dans L’Express interroge ce que les organisations privées savent parfois mieux faire que l’État en matière de considération et de proximité.
- Symptômes dans l’entreprise : désengagement, hausse des conflits latents, turn-over d’opportunité, micro‑absences et perte de sens dans les missions.
- Facteurs déclenchants : décisions opaques, empilement d’indicateurs contradictoires, injonctions court-termistes, réunions non délibératives.
- Effets macro : productivité dégradée, moindre capacité d’investissement immatériel, difficulté à mener des transformations (numérique, climat).
Pour situer le débat, un portrait fouillé du dirigeant dans Le Monde et des analyses régulières publiées dans Les Echos éclairent une constance de trajectoire : l’emboîtement entre gouvernance interne et vitalité démocratique externe. En 2025, un entretien au long cours dans L’Obs rappelle l’enjeu cardinal : pas de prospérité durable avec un contrat social fracturé.
Gouverner autrement : méthodes concrètes pour restaurer la confiance
Une gouvernance trop verticale accroît la distance hiérarchique et appauvrit l’initiative. À l’inverse, un pouvoir partagé—clarifié, documenté, mesuré—consolide la cohésion et la résilience. Un entretien de référence et l’extrait d’ouvrage soulignent trois leviers : transparence des arbitrages, autonomie opérationnelle, et délibération documentée sur les choix structurants (IA, climat, conditions de travail).
- Pratiques clés : budgets participatifs d’équipe, comités mixtes sur l’IA et l’environnement, accès ouvert aux indicateurs de performance sociale et carbone.
- Rituels d’écoute : sondages courts et fréquents, boucles de feedback à date fixe, publication des réponses managériales sous 30 jours.
- Capacité d’arbitrage : charte des décisions engageantes, évaluation ex ante des impacts sociaux et écologiques, revues trimestrielles paritaires.
Des cas concrets illustrent ces approches. À la MAIF, l’orientation « assureur militant » s’appuie sur la confiance et la subsidiarité. D’autres acteurs de l’économie réelle explorent des voies similaires : Danone pour l’engagement sociétal et la mesure d’impact, Le Groupe La Poste sur la présence territoriale et l’inclusion, Crédit Coopératif dans le financement de l’ESS, La Ruche qui dit Oui! et Biocoop sur les circuits courts, La Camif pour la relocalisation, Enercoop avec la gouvernance coopérative, Essilor sur l’accès à la santé visuelle, Mutuelle des Motards pour la prévention des risques. Chacune illustre à sa manière la valeur d’une responsabilité partagée, fil conducteur d’une « gouvernance adulte ».
Cette logique de « maturité du pouvoir » irrigue aussi les débats publics, comme l’a montré un échange sur France Culture autour du pilotage de l’État et du budget, à retrouver dans ce podcast. L’élément-clé demeure simple : rendre visibles les raisons des choix, puis associer les équipes à leur mise en œuvre.
Entreprise et responsabilité politique : clarifier le périmètre et les garde-fous
Le discours selon lequel « l’entreprise n’a pas pour objet d’être une démocratie » coexiste avec l’affirmation d’une responsabilité politique. Comment concilier les deux? Une tribune sans ambages dans La Tribune rappelle qu’une prise de position peut relever de la gestion des risques systémiques—sociaux, économiques, moraux. L’enjeu n’est pas de substituer l’entreprise au suffrage, mais d’énoncer des lignes rouges, de défendre l’État de droit et de protéger la continuité d’activité. La discussion s’est aussi prolongée sur les réseaux, via une prise de position relayée sur LinkedIn.
- Périmètre d’action : climat et biodiversité, inclusion et égalité des chances, intégrité de l’information, sécurité des chaînes d’approvisionnement.
- Garde-fous : traçabilité des arguments, consultation interne pluraliste, évaluation d’impact, proportionnalité des messages externes.
- Mesure : indicateurs de confiance interne, suivis d’engagements publics, corrélation avec la satisfaction client et les risques juridiques.
À question politique, réponse méthodique : une parole d’entreprise doit être justifiée par des faits, bornée par la mission, et évaluée comme tout investissement.
Compétences démocratiques au travail : apprendre, délibérer, décider
Peut-on apprendre la délibération collective au sein des organisations? Les données disponibles indiquent que la formation aux « compétences démocratiques »—argumentation, écoute active, arbitrage éclairé—améliore la qualité des décisions. Le débat sur l’appauvrissement des repères civiques à l’école, documenté par l’article sur les coupes dans le programme de SES, renforce le rôle éducatif des entreprises. En parallèle, l’analyse des faiblesses du modèle américain—endettement, inégalités—rappelle qu’un tissu économique solide se construit aussi par la participation et la confiance.
- Pour les RH : ateliers de controverse constructive, simulateurs de décisions, médiation interne certifiée, référentiels de compétences civiques.
- Pour les managers : « pré‑reads » obligatoires, « decision logs » publics en intranet, tours de table chronométrés, tests de scénarios contradictoires.
- Cas d’usage : chez Biocoop et La Ruche qui dit Oui!, concertation sur les critères d’achat responsables; chez Enercoop, votes sociétaires sur les orientations; au Crédit Coopératif, comités d’impact; à La Camif, revue des relocalisations; chez Essilor, programmes d’inclusion santé; à la Mutuelle des Motards, retours d’expérience sécurité; au sein du Groupe La Poste, dispositifs d’inclusion territoriale.
Au total, les « soft skills » démocratiques deviennent des « hard skills » de gouvernance : elles sécurisent des décisions plus rapides et mieux acceptées.
Feuille de route 2025 pour directions générales : indicateurs et priorités
À horizon proche, la démarche gagne à être outillée et séquencée. Les indicateurs, s’ils sont lisibles et stables, facilitent la preuve d’efficacité. Pourquoi ne pas adopter un cadre simple, testable en six mois, puis industrialisable?
- Trois objectifs : améliorer la confiance interne (+10 points aux baromètres), réduire les délais de décision stratégiques (-20%), stabiliser le turn-over sur les métiers en tension.
- Cinq chantiers : transparence décisionnelle, autonomie par délégation écrite, comité IA-climat paritaire, budget formation aux compétences délibératives, révision des incitations managériales.
- Mesures de suivi : « decision logs » publiés, audits d’impact social, enquêtes d’adhésion aux projets, corrélation engagement‑performance.
Pour nourrir cette trajectoire, l’actualité éditoriale et médiatique demeure riche : on pourra revisiter le plaidoyer pour un pouvoir « adulte » via cet éclairage synthétique, explorer la dimension politique de l’entreprise à partir de ce texte programmatique, puis replacer ces débats dans la séquence civique et économique grâce à l’analyse de risque et aux contributions économiques. In fine, la cohérence prime : on ne restaure pas la confiance par décret, mais par des preuves accumulées et mesurables.